Les attentats perpétrés par de jeunes musulmans souvent nés en France – donc Français, selon les lois actuelles – alimentent le débat sur « l’identité nationale ». Et dans ce contexte, à droite en particulier, nombreux sont ceux qui invoquent les « racines chrétiennes de la France ». Pourquoi cette expression est-elle essentiellement utilisée à droite ? Pourquoi met-elle en général la gauche si mal à l’aise ? Les gens de gauche seraient-ils si peu sûrs de leurs connaissances en histoire qu’ils refuseraient de se laisser entraîner sur ce terrain ?…
En fait, d’un point de vue historique, invoquer les « racines chrétiennes de la France » ne va pas forcément de soi. Il est indéniable que le passé chrétien de la France façonne bien des aspects de sa réalité actuelle, ne serait-ce qu’à travers ses paysages qui restent parsemés de clochers d’églises. Mais on pourrait tout aussi bien parler des « racines celtes » de la France, ou à l’inverse, plus proche de nous, des « racines révolutionnaires » de la France actuelle.
Pendant longtemps, on a appris aux petits Français que leurs ancêtres étaient les Gaulois. Mais, après les vagues d’immigration polonaise et italienne du début du XXème siècle, l’image d’une France peuplée de descendants des Gaulois n’était plus tenable. Et puis il fallait renforcer le sentiment d’appartenance des territoires d’outre-mer à la république. Aujourd’hui, s’arrêter sur les « racines chrétiennes » de la France, c’est faire le choix d’une France où Juifs et Musulmans sont des pièces rapportées. Et donc considérer que les Musulmans (pour les Juifs, c’est fait) doivent se fondre dans le reste de la population pour véritablement être Français. Ce qui signifie, par exemple, masquer tout signe d’appartenance à l’islam dans l’espace public.
Cette conception « assimilatrice » de l’intégration traduit un positionnement très à droite sur « L’identité et la responsabilité », le troisième de nos axes d’analyse gauche-droite : c’est parce que l’identité des personnes issues de l’immigration est très fortement marquée par leurs origines, qu’elles ne peuvent espérer s’intégrer à la communauté nationale qu’en faisant l’effort d’abandonner les valeurs, les manières de penser, les comportements attachés à cette identité.
Pour la droite qui invoque les racines chrétiennes de la France, le but est ainsi de faire comprendre aux populations d’origine « visiblement » étrangère que c’est à elles de faire ce qu’il faut pour s’assimiler, à commencer par ne pas afficher leur appartenance religieuse quand elles sont musulmanes. Tandis que pour la gauche (du moins celle qui n’est pas à droite sur « l’identité et la responsabilité »), parler de « racines chrétiennes », c’est prendre le risque que les personnes qui ne ressembleraient pas aux Français « de souche » prennent cela pour une injonction d’assimilation, avec pour seule alternative : devenir invisibles, ou quitter la France.
La chrétienté, depuis l’abbé Grégoire et malgré les velléités de l’Église sous la IIIe République, a globalement accompli sa révolution, en ce sens que la grande majorité de ceux qui se considèrent catholiques (pour ce qui concerne les protestants, c’est fait depuis longtemps) sont aujourd’hui sincèrement attachés à la laïcité des institutions. Il en est de même pour les juifs. C’est ici que réside la différence essentielle d’avec l’islam qui, lui, en est resté au Moyen Âge, se considérant hégémonique et estimant devoir influencer la vie politique. Ce même caractère hégémonique fait qu’un minaret a plus tendance à choquer qu’un clocher d’église dont nombreux sont ceux qui ne font quasiment plus attention.
Tout ceci prouve que, si la France possède ENTRE AUTRES des racines chrétiennes, celles-ci ont été supplantées de longue date par les racines laïques, importantes au point d’avoir inspiré de lointaines contrées (comme l’Uruguay, par exemple, dont les institutions sont un copier-coller des nôtres depuis les années vingt). Continuer à mettre l’accent sur des racines chrétiennes est donc le fait d’une minorité située à l’extrême droite, comprenant une Marion Maréchal Le Pen ou même un Laurent Wauquiez (sans parler de Christine Boutin). Si ces mêmes racines chrétiennes peuvent apparaître comme un rempart face aux exactions des intégristes islamiques, la grande majorité de la population a compris que le véritable rempart n’est autre qu’une laïcité solidement installée.